Décrypter les arômes spécifiques de la fermentation malolactique dans le vin

07/09/2025

La fermentation malolactique : un moment clé dans le chai

Avant de plonger dans le verre, il convient de lever un coin du voile sur ce qu’est vraiment la fermentation malolactique. Contrairement à la fermentation alcoolique – qui transforme le sucre du raisin en alcool grâce aux levures – la fermentation malolactique intervient en second, généralement après la première.

  • Elle est due à l’action de bactéries lactiques (lactobacillus, oenococcus, pediococcus) plutôt que de levures.
  • Sa mission majeure ? Transformer l’acide malique, naturellement présent dans le raisin et connu pour son acidité tranchante (c’est l’acide principal de la pomme verte), en acide lactique, plus doux et crémeux.

Conséquence directe : l’acidité d’un vin diminue, sa structure s’arrondit, ses arômes évoluent.

Quels arômes la fermentation malolactique engendre-t-elle ?

Entrons maintenant dans le vif du sujet : au-delà de la sensation tactile plus souple, quels sont les arômes qui signent le passage de la malo ? Voici les familles aromatiques les plus emblématiques :

  • Lactés : beurre frais, yaourt, crème, lait chaud
  • Notes de noisette et de fruits secs : parfois révélées ou accentuées
  • Arômes de brioche, pain grillé : en lien avec l’élevage, mais plus marqués après malo
  • Parfums de caramel doux ou de sucre cuit : assez rares, parfois perceptibles (surtout dans certains blancs sous bois)

Pourquoi ces arômes ? L’acide lactique et ses dérivés issus de la dégradation de l’acide malique possèdent intrinsèquement une palette olfactive qui rappelle les produits laitiers. Par ailleurs, la production de diacétyle (voir plus bas), un composé clé, marque profondément l’identité odorante des vins ayant subi la fermentation malolactique.

Le diacétyle : la star du beurre et de la malolactique

S’il y a un composé aromatique célèbre, c’est bien le diacétyle. Il mérite une explication détaillée :

  • Qu’est-ce que c’est ? : Le diacétyle est un composé organique (un dione) produit lors de la fermentation malolactique. On le retrouve aussi… dans le beurre !
  • Seuil de perception : L’olfaction humaine commence à repérer le diacétyle dans le vin dès 0,2 mg/l, mais il peut atteindre 2 à 3 mg/l dans certains vins selon les conditions de vinification (La France Agricole).
  • Arôme : Il évoque intensément le beurre frais, la brioche ou la crème pâtissière. C’est cet effluve beurré typique des chardonnays de la Côte de Beaune, par exemple.
  • Modulation : La concentration en diacétyle dépend de la rapidité de la fermentation, de l’apport d’oxygène et du choix des bactéries. Certains vignerons cherchent à le limiter, d’autres à le mettre en avant.

À noter : le diacétyle ne résume pas tout. Un excès donne un vin caricatural, écoeurant, voire « butter bomb » dans certains chardonnays du Nouveau Monde, alors qu’une maîtrise subtile apporte une touche de gourmandise très appréciée des amateurs.

Arômes secondaires et transformation du profil aromatique

Des notes qui guident l’évolution du vin

La fermentation malolactique ne génère pas seulement des arômes laitiers ou beurrés. Au gré de la transformation chimique, le vin s’ouvre à des accents nouveaux :

  • Lait caillé, yaourt nature : On peut parfois identifier des nuances rappelant les produits laitiers fermentés, sans pour autant évoquer l’acidité du lait tourné.
  • Notes d’amandes fraîches et de noisette : Celles-ci proviennent des interactions entre la malo et certains composés préexistants, notamment dans les vins blancs élevés sur lies fines.
  • Touche de pomme cuite ou compote : Si l’acide malique s’apparente à la pomme verte, sa conversion peut laisser une légère réminiscence de pomme cuite, surtout dans les blancs jeunes.

Et les rouges ?

La fermentation malolactique est quasiment systématique dans les vins rouges, où elle adoucit l’astringence. Les arômes évoqués chez les rouges sont souvent plus discrets, mais on note :

  • Des touches subtiles de crème ou de lait chaud
  • Un accent plus « fondu » des fruits rouges (fraise compotée, cerise au sirop)
  • Un aspect légèrement « chocolaté » ou « cacao » dans certains cépages (notamment merlot ou syrah)

Là encore, la malo affine le bouquet plus qu’elle ne le bouleverse.

Tout le monde recherche-t-il la fermentation malolactique ?

Certains styles de vins revendiquent l’absence volontaire de malo. C’est fréquent pour :

  • Les vins blancs très frais, désireux de conserver leur tranchant acidulé (riesling, sauvignon blanc de Loire ou d’Alsace, chablis non boisés, etc.)
  • Des vins effervescents (ex : certains champagnes, pour une acidité vive et ciselée)

Dans ces cas, le profil aromatique évolue différemment : on conserve des notes de pomme verte, d’agrumes mordants, de fleurs blanches, moins de crémeux, pas de sensation de beurre.

Facteurs influant sur l’expression aromatique de la malolactique

L’impact exact de la fermentation malolactique sur les arômes dépend de nombreux paramètres :

  • Température de fermentation : Plus elle est élevée (17-21°C), plus la malo avance vite et peut générer plus de diacétyle. À l’inverse, basse température = processus plus lent et arômes plus subtils.
  • Souche de bactéries utilisée : Certaines souches commerciales (Oenococcus oeni, Lactobacillus plantarum) sont choisies pour maximiser ou atténuer la formation d’arômes lactés.
  • Teneur en soufre : Un ajout important de SO2 bloque la malo et donc la génération de ces arômes spécifiques (Source : Bourgogne Vins).
  • Relation avec l’élevage sur lies : Ces deux étapes se combinent pour enrichir le panel crémeux et brioché, parfois confondu avec le travail du bois.

Anecdote sensorielle

Dans certains domaines pionniers de Sonoma ou d’Otago, des dégustations comparatives sont organisées pour faire sentir la différence sur un même chardonnay passé ou non par la malo. Le contraste est saisissant : le vin sans malo explose sur la pomme verte et les agrumes ; le vin avec malo enveloppe le palais de crème, d’amande et de brioche, tout en gardant la fraîcheur du fruit mûr. Un voyage instructif pour tout amateur !

Comment repérer un vin « malo » au nez et en bouche ?

Pour l’amateur curieux, certains indices olfactifs et gustatifs ne trompent pas :

  • Le nez : Cherchez la sensation beurrée, la crème fraîche, la sensation de pâte feuilletée sortie du four. Certains blancs évoquent franchement la crème anglaise ou la praline.
  • La bouche : Le toucher du vin devient plus rond, moins incisif, presque « soyeux » chez certains rouges. L’acidité semble digérée, intégrée, sans crudité.

À l’aveugle, la magie opère d’autant plus si l’on compare deux millésimes, ou bien un même cépage travaillé avec ou sans fermentation malolactique.

Quelques exemples concrets dans le monde du vin

  • Chablis : Les « petits Chablis » frais et nerveux évitent souvent la malo, tandis que les « Chablis Grand Cru » vinifiés sous bois la recherchent pour plus de gras et des arômes de beurre salé.
  • Chardonnay californien : Célèbres pour leur style « butter bomb », ces vins font la part belle à la malo et au diacétyle, jusqu’à évoquer le popcorn ! (cf. Napa Valley Vintners)
  • Champagne : Les maisons qui privilégient la fraîcheur limitent l’impact de la malo, alors que certains récoltants manipulants laissent faire pour plus de rondeur et des arômes plus lactés.
  • Bourgogne blancs : Meursault, Puligny-Montrachet, Corton-Charlemagne… L’équilibre subtil entre malo, élevage sur lies et passage en fût offre un festival de senteurs beurrées, briochées, de fruits secs et de fleurs blanches.

Perspectives autour de la fermentation malolactique

La fermentation malolactique, loin d’être une simple étape technique, se révèle être un formidable levier de la complexité aromatique et de l’identité des vins. Maîtrisée avec finesse, elle peut transformer un vin austère en velours olfactif, tout en préservant la vérité du cépage et du terroir. Pour les vignerons et les œnologues, la gestion de la malo est devenue un outil d’expression : dosage du diacétyle, choix des souches bactériennes, ajustement des températures… autant de paramètres modulés selon la vision et le style recherchés.

Pour l’amateur, savoir identifier ces arômes, c’est raffiner sa grille de lecture sensorielle – et, qui sait, ouvrir la porte à de nouvelles expériences de dégustation, du cœur de la Bourgogne à l’exubérance californienne. La prochaine fois qu’un vin vous surprend par ses fragrances lactées, vous saurez d’où vient ce charme enveloppant, fruit d’une subtile alchimie entre science, terroir et savoir-faire.

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