De la grappe au verre : à la découverte du parcours du vin rouge

29/06/2025

La vendange : le début du voyage

Le choix de la date des vendanges détermine, plus qu’aucune autre décision, le style et la qualité du vin. On pourrait presque sentir l’électricité dans l’air du vignoble, quand les raisins, gorgés d’arômes, sont inspectés chaque matin. Pour les rouges, il s’agit de trouver le compromis idéal entre maturité des sucres, des acides, et surtout celle des tanins, présents dans les peaux et les pépins.

  • Vendange manuelle : Encore privilégiée dans de nombreux domaines de renom, elle permet de sélectionner grain par grain, préservant l’intégrité du raisin. Cette méthode reste très présente dans les grands crus bordelais ou en Bourgogne.
  • Vendange mécanique : Utilisée sur plus de 70% des surfaces viticoles françaises (source : Institut Français de la Vigne et du Vin), son efficacité a transformé la viticulture moderne. Cela dit, elle peut parfois entraîner l’extraction de matières végétales non souhaitées, affectant la pureté aromatique.

La température des baies à la récolte et leur état sanitaire jouent un rôle déterminant dans la suite de la vinification.

Éraflage et foulage : la préparation des raisins

L’arrivée au chai marque une étape cruciale : il faut séparer le grain de la rafle (la structure végétale de la grappe) pour éviter une astringence excessive. L’éraflage n’est pas systématique : certains vignerons choisissent de conserver une part de rafle (cela s’appelle le "vendange entière") pour certaines cuvées, apportant complexité ou fraîcheur selon le cépage et le millésime.

  • Éraflage : Appareils modernes ou gestes ancestraux : l’art d’extraire ou de laisser la rafle est une décision essentielle pour définir le profil du vin.
  • Foulage : Le foulage léger, écrasant simplement les raisins, amorce la libération des jus. Fini les pieds nus dans la cuve : aujourd’hui, la plupart des foulages se font à la machine, pour plus de précision.

La macération : capturer couleurs et arômes

Voici le cœur du processus pour le vin rouge : la macération, ce moment où les peaux teintent le jus, libèrent tanins, anthocyanes et toute la palette aromatique.

  • Durée : Elle peut varier de 4 jours (pour des rouges légers ou primeurs) à plus d’un mois (pour des crus de garde, par exemple certains Cahors ou Bordeaux). Plus la macération est longue, plus le vin sera structuré, coloré et tanique.
  • Température : Le contrôle via cuves réfrigérées est vital : on travaille souvent entre 24°C et 28°C, voire davantage pour certains styles robustes.
  • Techniques :
    • Remontages : On pompe le jus du bas de la cuve pour le verser sur le chapeau de marc, extrayant ainsi davantage de composés colorants et aromatiques.
    • Pigeages (moins courant, mais emblématique de la Bourgogne) : on enfonce le chapeau de marc dans le jus, à l’aide d’un bâton ou d’outils mécaniques.

Anecdote : Le célèbre vin de Romanée-Conti doit en partie sa finesse aux pigeages manuels réguliers, qui agissent en douceur sur l’extraction.

La fermentation alcoolique : la magie des levures

C’est ici que le miracle s’accomplit : les levures, naturellement présentes ou ajoutées, transforment les sucres du raisin en alcool, produisant chaleur et bulles de CO₂.

  • Contrôle de la fermentation : Les vignerons surveillent chaque cuve plusieurs fois par jour, car une fermentation trop chaude risque de "cuire" les arômes, tandis qu’une température trop basse peut la bloquer.
  • Levures indigènes vs sélectionnées :
    • Levures indigènes (naturellement présentes) : offrent une expression plus authentique du terroir, mais la fermentation est plus imprévisible.
    • Levures sélectionnées : apportent sécurité et régularité mais parfois une standardisation aromatique.

Une fermentation alcoolique d’un vin rouge dure généralement de 5 à 15 jours selon le style recherché et la température.

Décuvage et pressurage : séparation des mondes

À la fin de la fermentation et de la macération, un moment décisif s’impose : séparer le jus (vin de goutte) des parties solides. Le décuvage consiste à soutirer le jus libre, riche, souvent plus soyeux ; tandis que le marc restant est pressé pour obtenir le vin de presse, plus corsé. L’art du maître de chai est d’assembler ces deux vins dans des proportions idéales, selon la structure ou l’élégance recherchée.

  • Vin de goutte : Apporte finesse et souplesse.
  • Vin de presse : Tannique, coloré, mais potentiellement plus dur, il apporte de la colonne vertébrale au vin final.

Anecdote historique : Dans le Bordeaux du XIXe siècle, le vin de presse était parfois complètement écarté des grands assemblages. Aujourd’hui, il est souvent utilisé avec parcimonie pour densifier certains lots (Source : Jean-Marc Quarin, critique et consultant).

La fermentation malolactique : arrondir les angles

Moins connue du grand public, cette fermentation secondaire voit les bactéries lactiques transformer l’acide malique, vif et mordant, en acide lactique, plus doux. Le résultat ? Une bouche plus ronde et souple, signature de la plupart des vins rouges, à l’exception de quelques vins très fruités ou nouveaux.

  • Température : Entre 18°C et 20°C pour favoriser le développement des bactéries bénéfiques.
  • Importance : Cette étape stabilise le vin, évitant d’éventuelles prises de mousse indésirables en bouteille.

Le vin commence alors à se détendre, libérant des arômes lactés subtils (note de beurre frais, de noisette).

L’élevage : révéler la personnalité du vin

Voici l’instant où le vin prend son élan, s’affine dans l’ombre fraîche des chais.

  • En cuve (inox, béton, parfois amphore) :
    • Préserve le fruit et la fraîcheur, idéal pour des cuvées à boire jeunes. Les vins du Beaujolais primeur reposent souvent ainsi quelques semaines seulement.
  • En fûts de chêne :
    • Apporte complexité aromatique, structure et aptitude au vieillissement. Le choix du bois (origine, chauffe, âge du fût) influence la palette aromatique : vanille, épices, noix de coco ou pain grillé selon les cas.
    • La durée d’élevage varie : de 6 mois pour certains crus à plus de 24 mois pour des flacons de garde (ex : grands Barolo ou Pauillac).
    • Le renouvellement des barriques : Les barriques neuves marquent davantage le vin, tandis que les fûts plus âgés apportent équilibre et complexité sans aromatiser trop fortement.

Certains domaines utilisent aussi la micro-oxygénation, une technique développée en France dans les années 1990, qui consiste à injecter très finement de l’oxygène dans le vin pour accélérer son assouplissement (source : Revue des Œnologues, 2017).

L’assemblage : l’art de l’équilibre

À la manière d’un compositeur, l’œnologue assemble différents lots pour créer l’harmonie recherchée. Chaque parcelle, chaque cuve, peut donner un vin aux caractéristiques légèrement différentes. L’assemblage consiste à marier ces composants pour obtenir un vin homogène, équilibré, fidèle au millésime et à l’identité de la propriété.

  • Les grands Bordeaux rouges : souvent l’union de Merlot, Cabernet Sauvignon et Cabernet Franc, dans des proportions décidées après de nombreuses dégustations à l’aveugle.
  • En Bourgogne : l’assemblage se joue davantage entre différentes parcelles de Pinot noir d’un même climat, puisque le mono-cépage règne.

Selon le magazine Decanter, les dégustations d’assemblage peuvent réunir jusqu’à 30 échantillons différents pour certains grands domaines bordelais.

Les dernières étapes : stabilisation, filtration, mise en bouteille

Le vin n’est pas encore prêt à rejoindre verres et tables. Dernière ligne droite, ces opérations techniques assurent sa stabilité microbiologique, sa limpidité et sa capacité à bien vieillir.

  • Stabilisation tartrique et protéique : Il s’agit d’éviter des précipitations cristallines ou troubles en bouteille, grâce à un passage à basse température ou à l’ajout de produits naturels (bentonite, par exemple).
  • Filtration : Plus ou moins serrée selon la philosophie du vigneron : certains vins naturels optent pour une filtration très légère, voire aucun filtrage, pour préserver la texture.
  • Mise en bouteille : Pour préserver le vin de l’oxydation, tout doit être orchestré avec précision : le choix du bouchon (liège naturel, technique, capsule à vis…) a une influence sur la garde et l’évolution aromatique. À titre d’exemple, plus de 70% des vins australiens haut de gamme utilisent la capsule à vis, cherchant à éviter le goût de bouchon (source : Wine Australia).

Un monde de nuances, un chemin unique à chaque bouteille

Derrière la simplicité apparente d’une bouteille alignée en rayon, se cache un univers de gestes précis, d’options techniques, de petites et grandes révolutions discrètes. Chaque choix, du pied de vigne à la bouteille, écrira la personnalité finale du vin. Un Morgon de granit, un Saint-Émilion sur argiles, un Châteauneuf-du-Pape solaire… tous sont enfants de ces décisions, reflets de lieux comme d’hommes. Au fil de ces étapes, la dégustation prend alors tout son sens : quand le vin se livre, c’est aussi tout le chemin parcouru qui s’éveille dans le verre.

Sources : Institut Français de la Vigne et du Vin, Revue des Œnologues, Wine Australia, Decanter, Jean-Marc Quarin.

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