Pressurage et vin rosé : l’alchimie des couleurs et des arômes révélée

05/07/2025

Le pressurage : une étape décisive dans la courte vie du raisin rosé

Le rosé n’est ni un vin blanc additif de rouge, ni un simple vin rouge dilué. Son histoire commence dans la parcelle, mais prend toute sa dimension dans le chai, au moment où la pulpe juteuse et la peau se séparent. Ce moment, c’est le pressurage ! Concrètement, cette étape consiste à extraire le jus des raisins, tout en maîtrisant, à la seconde près, la couleur, les arômes, et la texture désirés. Ce choix est d’autant plus crucial que la matière colorante et certains composés aromatiques résident dans la peau du raisin… et que tout se joue en quelques heures.

En Champagne, par exemple, la tradition impose un rendement très précis : 4 000 kg de raisins pour obtenir 2 550 litres de jus, appelé “la cuvée”, le plus qualitatif. Cette notion de rendement est essentielle pour capter la quintessence du fruit sans excès de tanins ni de couleur.

L’influence du pressurage sur la couleur : de la douceur au frisson chromatique

Ce qui frappe d’abord chez un rosé, c’est sa teinte aussi subtile que variée. Ce panel, du rose très pâle au rose soutenu, s’obtient principalement lors du pressurage. Pour y parvenir, c’est tout un art :

  • La force appliquée : Un pressurage léger, souvent pratiqué entre 0,2 et 1,5 bars selon les pressoirs (source : ŒnoBordeaux), libère peu de pigments et donne un vin à la couleur plus tendre.
  • La durée : Plus le jus reste en contact avec les peaux, plus la palette de couleurs s’intensifie, mais il existe une zone de finesse, où le rosé trouve son équilibre.
  • Le style de pressoir : Pneumatique, traditionnel à plateaux ou à cage… Chaque matériel façonne différemment la séparation des jus, offrant des textures variées.

Anecdote en Provence : le rosé de style “pâle” plébiscité dans la région résulte d’un pressurage délicat, d’une durée maîtrisée, et de l’usage généralisé du pressoir pneumatique, gage de finesse (source : Conseil Interprofessionnel des Vins de Provence).

Pressurage direct ou saignée : deux écoles, deux personnalités

Derrière chaque rosé, il y a un choix assumé : le pressurage direct ou la saignée. Voici leurs différences concrètes :

  • Pressurage direct : Le raisin est pressé immédiatement après la récolte, le jus est séparé prestement de la peau. Résultat : des vins à la robe pâle, une expression florale et fruitée, la fraîcheur du jus “de goutte”. Cette méthode domine en Provence ou en Loire pour les rosés légers.
  • Saignée (ou “rosé de saignée”) : Le moût issu de raisins noirs macère quelques heures, le temps que la couleur et certains arômes migrent dans le jus, puis on “saigne” (on soutire) la partie rosée du jus avant de la vinifier séparément. Le vin est alors plus coloré, plus charnu, parfois structuré (source : Institut Français de la Vigne et du Vin, IFV).

À Bandol, où le Mourvèdre règne en maître, il n’est pas rare d’oser des rosés de saignée, puissants et raffinés, capables de vieillir comme des rouges sur plusieurs années.

Maîtriser les arômes : la signature du vigneron dès le pressurage

La magie du vin ne s’arrête pas à la couleur : le pressurage conditionne bien des secrets aromatiques et gustatifs. Entre une touche de groseille croquante et un soupçon de pomelo, tout joue sur l’intensité d’extraction :

  • Un pressurage tout en douceur favorise des arômes primaires (fruits frais, fleurs) et évite l’amertume, offrant des vins “gorgés de lumière”.
  • Un pressurage poussé capte des composés plus complexes, parfois une certaine salinité, voire des notes épicées, au risque de céder aux tanins.

Selon la variété de raisin, le style recherché, la qualité de la vendange (maturité, état sanitaire), il revient au vigneron de doser, presque à l’instinct, ce qui va définir la « patte » du domaine d’année en année.

Rôle du pressurage dans la texture et la fraîcheur

Le rosé ne se résume pas à ses parfums : la sensation en bouche, ce côté parfois aérien, souvent désaltérant, provient aussi de l’art du pressurage. Une extraction douce évite la dureté de certaines matières (comme les tanins), tandis qu’un excès “dure” la bouche et raccourcit la finale, privant le vin de son éclat.

Une statistique surprenante ? Selon l’IFV, moins de 8% du volume de jus peut contenir plus de 60% des composés phénoliques extraits lors d’un pressurage trop énergique, avec une incidence marquée sur la clarté et la sensation tactile du vin (source : IFV). Les grands rosés recherchent une certaine limpidité presque cristalline, tout en conservant un soupçon de “gras".

Défis techniques et choix œnologiques autour du pressurage

Les attentes envers le rosé évoluent. On distingue aujourd’hui, sur le plan technique :

  • La maîtrise de l’oxygène : L’apport d’oxygène pendant le pressurage joue sur les arômes fins et la stabilité de la couleur. Un pressurage sous atmosphère inerte (azote ou CO₂) se démocratise pour préserver les arômes les plus volatils, notamment sur les cépages fragiles comme le Grenache.
  • Le fractionnement des jus : Les premiers jus “de goutte” offrent élégance et légèreté, tandis que les dernières presses peuvent servir à assembler des cuvées plus charnues ou, parfois, sont écartées pour éviter amertume ou lourdeur. Rien n’est perdu… certains jus finiront en distillation ou pour les bases “rosé pamplemousse”.
  • L’adaptation au millésime : L’année 2018, exceptionnelle mais chaude, a par exemple obligé les vignerons de Provence à écourter le temps de pressurage pour garantir la fraîcheur et éviter la sur-extraction.

Le saviez-vous ? Certains domaines expérimentent de nouveaux pressoirs verticaux ou à membrane pour mieux gérer la pression et obtenir des jus encore plus précis (données Intervins Sud).

L’impact environnemental : vers un pressurage plus responsable

Le vin rosé, comme tous les vins, s’inscrit dans des pratiques plus vertueuses. Le pressurage génère des rebuts (marc, bourbes) qui, autrefois, partaient à la distillerie. Désormais, le marc de raisin est valorisé en cosmétiques, engrais, voire biogaz (source : ADIV, filière viti-vinicole). Les pressoirs modernes consomment moins d’eau et d’énergie, et certains chais adoptent la récupération des eaux usées issues du nettoyage du matériel.

Quand le pressurage devient un art : anecdotes et terroirs en lumière

Dans certains grands domaines provençaux, chaque cuvée fait l’objet d’un protocole de pressurage unique : un lot de cabernet sera pressé différemment d’un lot de grenache, chaque cépage révélant ses secrets à sa façon. À Sancerre, les rosés de pinot noir admettent des pressurages très rapides, qui ne laissent au jus que quelques minutes au contact des anthocyanes…

Des vignerons racontent :

  • Au Château d’Esclans (Côtes de Provence), propriétaire du fameux Whispering Angel, le maître de chai ajuste le pressurage selon la fraîcheur de la vendange nocturne, pour garantir une expression florale incomparable (source : Wine Spectator, 2019).
  • À Tavel, la “République du rosé”, les assemblages allient jusqu’à 7 cépages, chacun pressuré selon sa structure, illustrant la diversité possible grâce à la maîtrise de ce geste.

Pressurage et perception des consommateurs : plus qu’une technique, une signature sensorielle

Si le rosé plaît tant, c’est aussi parce qu’il offre cette diversité de profils. En 2022, plus de 27% de la production mondiale de rosé est exportée, avec la France en tête (source : Observatoire Mondial du Rosé). Les consommateurs découvrent que derrière la couleur se cachent mille nuances gustatives, toutes nées… d’un pressurage différent.

Comprendre cette étape, c’est expliquer pourquoi un rosé de Provence est diaphane et ouvert sur la fraise, quand celui du Languedoc s’exprime en framboise éclatante ou qu’un Tavel affiche une trame structurée. Goûter un rosé, c’est finalement deviner le geste du vigneron au pressoir, l’instant précis où la lumière pénètre la pulpe du raisin…

Perspectives nouvelles sur la maîtrise du pressurage

Face à la montée des attentes – recherche d’authenticité, de naturalité, d’émotion – le pressurage du rosé n’a jamais été aussi pensé, mesuré, adapté. Il ne s’agit plus seulement d’extraire un jus, mais de façonner la mémoire d’une parcelle, la lumière d’une aube de vendange, dans un flacon.

Si vous croisez, lors d’une dégustation, un rosé qui vous étonne par sa pureté ou sa densité, souvenez-vous que le secret, souvent, vient du pressoir – de l’alchimie entre force et délicatesse, entre tradition et innovation. Des gestes millimétrés, dont découlent des vins toujours plus inspirants et gourmands… à savourer sans modération, et en pleine conscience.

Sources : IFV (vignevin.com), Conseil Interprofessionnel des Vins de Provence, Observatoire Mondial du Rosé, Wine Spectator 2019, ŒnoBordeaux, Intervins Sud, ADIV.

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