Les visages du vin : voyage au cœur de la vinification selon les couleurs et les bulles

27/06/2025

Le vin rouge : naissance d’un caractère

La vendange et la réception

Tout commence par le choix du moment de récolte, crucial pour l’équilibre sucre-acidité-structure. Les baies rouges sont égrappées ou non, en fonction du style désiré. À Bordeaux, l’éraflage est courant pour éviter l’apport de tanins herbacés par les rafles, tandis qu’en Bourgogne, certains optent pour la grappe entière pour la fraîcheur et le soyeux.

La macération, secret des arômes et de la couleur

Le vrai “tour de magie” du vin rouge réside dans la macération : la peau, la pulpe et parfois les pépins communiquent couleurs, tanins et arômes primaires au jus — le moût. Elle s’étale classiquement sur 1 à 3 semaines. À température contrôlée (25-30°C), les pigments (anthocyanes) se libèrent : un millésime chaud accroît l'extraction, tandis que la macération pré-fermentaire à froid (8-15°C, 3-5 jours), inspirée de la Bourgogne, exalte le fruit et module la structure tannique.

  • La fermentation alcoolique débute quand les levures transforment les sucres du jus en alcool. Avec l’élévation de température, les arômes évoluent, l’alcool apparaît, et la bouche se construit.
  • Le remontage et le pigeage (bâtônnage du chapeau de marc) maintiennent le contact solide-liquide. En 2021, dans le Bordelais, certains domaines opèrent jusqu'à deux remontages quotidiens pour maximiser l’extraction aromatique (source : Vitisphère).

Le pressurage : extraire, mais pas trop

Au terme de la fermentation, le vin de goutte est soutiré : c’est le jus qui s’est écoulé naturellement. Le marc résiduel est alors pressé pour en extraire le “vin de presse”, souvent plus riche et tannique, à assembler ou non selon le profil recherché.

Élevage et choix du contenant : inox, bois ou béton ?

  • La cuve inox préserve le fruit, sans échange avec l’oxygène.
  • La cuve béton offre une micro-oxygénation subtile et une inertie thermique recherchée, particulièrement pour les vins rouges souples du Sud-Ouest.
  • La barrique de chêne nuance la structure, apporte des arômes toastés ou vanillés et accompagne l’évolution des plus grands crus.

En Médoc, les Grands Crus sont souvent élevés 18 à 24 mois en fût (source : CIVB). En Beaujolais, la tendance va à des élevages plus courts en béton pour préserver les notes fruitées.

Le vin blanc sec : pureté et fraîcheur

Pressurage immédiat et clarté du jus

Contrairement au rouge, ici, le temps presse : sitôt vendangés, les raisins blancs sont pressés parfois dans l'heure. L’objectif ? Limiter au maximum le contact avec la peau pour conserver délicatesse et limpidité. Un pressoir pneumatique moderne exerce une pression graduée : un jus plus clair, peu tannique, mieux adapté à l’élaboration de grands blancs secs.

Débourbage, fermentation et révélations aromatiques

L’étape du débourbage, c’est la sédimentation naturelle des particules grossières dans le moût. Elle garantit un jus limpide — condition vitale pour des arômes nets. La fermentation, menée à basse température (12-20°C), concentre les arômes variétaux : le Sauvignon blanc révèle des nuances d’agrumes et de buis, le Chardonnay des fruits à chair blanche et de fines notes florales (source : Œnologues de France).

Élevage sur lies et fraîcheur

  • L’élevage sur lies (particules de levures sédimentées) apporte du gras et de la complexité, particulièrement en Bourgogne et dans la Loire. Un Sancerre élevé sur lies gagne en texture et en longueur en bouche.
  • La cuve inox est reine pour des blancs vifs, tandis que le bois (pièce bourguignonne) ajoute des nuances grillées et beurre frais lors de l’élevage.

Rosé : la quête de l’équilibre entre fraîcheur et légèreté

Le pressurage, clef de voûte du style

Le secret du rosé réside dans la durée et la technique du pressurage. Les raisins noirs sont pressés rapidement, ne libérant qu’un soupçon d’anthocyanes : c’est le gage d’un rosé pâle et frais, à la provençale. Plus le contact peau-jus est bref (de quelques dizaines de minutes à quelques heures), plus la couleur reste délicate. Un pressurage fort ou prolongé rendrait le vin plus tannique, moins aérien.

Macération ou pressurage direct – deux voies pour un même plaisir

  • La macération pelliculaire : on laisse le moût au contact des peaux entre 2 et 20 heures, puis on presse. On parle alors de “saignée” (rosé de saignée), souvent plus coloré et structuré.
  • Le pressurage direct : pratiqué pour les rosés très pâles, le jus s’écoule presque sans contact avec les peaux.

Détail révélateur : en Provence, berceau mondial du rosé, 90 % des vins sont issus de pressurage direct. Mais la “saignée” gagne en popularité en Bourgogne et dans le Bordelais (source : Conseil Interprofessionnel des Vins de Provence).

Méthodes alternatives – verses rosé de pressurage et rosé d’assemblage

  • En Champagne, le rosé est parfois obtenu par assemblage de vin rouge tranquille et de vin blanc (cette pratique est interdite en AOC Côtes de Provence).

Vins effervescents : l’art des bulles

La double fermentation : naissance des perles

  • Tous les effervescents voient le jour via une double fermentation : d’abord en cuve (base de vin tranquille), puis en contenant fermé pour l’apparition du CO, responsable des bulles.

Méthode traditionnelle (Champenoise) :

  • Après assemblage des vins tranquilles, on ajoute une “liqueur de tirage” (sucre et levures) et on embouteille.
  • La seconde fermentation se passe en bouteille : chaque bouteille devient une micro-cuve, où la pression monte à 6 bars. Selon la réglementation, l’élevage sur lies dure au moins 15 mois pour un Champagne non millésimé (source : Comité Champagne).
  • Le remuage progressif (rotation des bouteilles) précipite les lies vers le goulot, pour un dégorgement sans dépôt.

Méthode Charmat : la bulle en cuve

Cette méthode, typique du Prosecco, met en œuvre la seconde fermentation en cuve close. Elle permet des vins plus fruités, immédiatement accessibles, avec une effervescence souvent plus grossière et abondante.

La science des bulles

Un litre de vin effervescent contient jusqu’à 7 grammes de CO, soit près de 20 millions de bulles dans une flûte (source : Gérard Liger-Belair, Université de Reims).

Macération : contraste aromatique et chromatique entre rouges et blancs

  • La macération pelliculairePour les rouges, la macération avec les peaux est essentielle, donnant couleur, tanins et structure. Les pigments rouges (anthocyanes) sont ainsi extraits, alors que sans cette étape, le jus, naturellement clair, ne donnerait pas un vin rouge.
  • Pour les blancs, la macération est généralement évitée (sauf pour certains styles macérés, dits “vins orange”). On souhaite préserver finesse, pureté et fraîcheur, en minimisant l’extraction phénolique.

Influence de la température de fermentation sur le style du vin

La chaleur accélère la cinétique fermentaire et favorise l’extraction. Pour un rouge puissant, 28-30°C révèlent des arômes mûrs, des tanins fermes ; pour un rouge souple ou un rosé aromatique, on vise 16-22°C. Les blancs fermentent à 12-18°C, pour capturer notes florales et fruitées. À 25°C, les esters (molécules d’arômes fruités) sont maximisés ; au-delà, risque d’évaporation d’arômes ! (source : Institut Français de la Vigne et du Vin).

Le choix de la cuve : bien plus qu’une simple question de contenant

  • L’inox est prisé pour sa neutralité et sa simplicité d’entretien.
  • Le béton, masse inerte mais respirante, conserve une température stable et apporte de la rondeur (le Domaine Gauby en Roussillon privilégie ainsi des cuves ovoïdes béton pour la micro-oxygénation naturelle).
  • Le bois, en fût ou en foudre, cède d’infimes quantités d’oxygène et des arômes complémentaires. Une barrique neuve donne 1 à 3 mg d’oxygène dissous/litre/mois (source : Institut National de la Recherche Agronomique).
  • Des alternatives apparaissent : amphores en grès, cuves en résine ou ovoïdes, chacune influençant différemment le vin.

Ouverture : la vinification, un art vivant et sans cesse réinventé

À chaque cuvée, la vinification esquisse une variation sur un même thème : le raisin. Loire, Provence, Bourgogne ou Champagne, chaque région a forgé ses propres bornes et transgressions. Entre innovations techniques—cuves intelligentes, pressurages doux, amphores retrouvées—et traditions millénaires, le vin d’aujourd’hui s’écrit au pluriel. Étudier la vinification, c’est capter l’âme des terroirs et de ceux qui les mettent en bouteille. Inviter à la dégustation, c’est partager, au-delà du verre, toute l’histoire et l’imagination d’un vignoble.

Pour aller plus loin : “Le Grand Livre du Vin” (Bettane & Desseauve), “Traité d'œnologie” (Peynaud), sources officielles Institut Français de la Vigne et du Vin, Comité Champagne, CIVB, Vitisphère.

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